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Archeologia.be - L'Abécédaire de l'Archéologie
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"Plougastel-Daoulas (Finistère) : des plaquettes gravées vieilles de 14.000 ans jettent un nouveau regard sur l'art préhistorique - Interview de Nicolas NAUDINOT, responsable scientifique " (Pierre-Emmanuel LENFANT - Archeologia.be, 20 mars 2017)

Le site du Rocher de l’Impératrice a été découvert lors de l’ouragan de 1987. Michel Le Goffic, alors conservateur du patrimoine du Finistère est appelé sur les lieux suite à la découverte de tessons sous un arbre déraciné. Si ces tessons sont modernes, cette visite le conduit à découvrir quelques éléments lithiques dans un terrier sous un abri en contrebas de la souche. Peu de temps après, une équipe de grimpeurs le contacte pour l’informer de la découverte de silex lors de leurs aménagements pour augmenter le surplomb des voies. Michel Le Goffic tamise alors ces déblais et récolte une petite série lithique qu’il attribue, avec justesse, à la fin du Paléolithique supérieur. Une vingtaine d’années plus tard, Michel Le Goffic m’autorise (et je le remercie encore) à étudier ce matériel durant mon doctorat à l’Université de Rennes 1/UMR 6566 CReAAH. J’attribue cette collection aux tous premiers temps de l’Azilien, période particulièrement méconnue dans l’Ouest et peu renseignée dans le reste de la France. Impossible pourtant à cette époque de mettre en place une opération archéologique.

Il faudra attendre l’acquisition de cette parcelle par le Conseil départemental du Finistère, qui souhaite faire de ce secteur une zone naturelle sensible, pour envisager une fouille. L’opération archéologique est donc lancée en 2013 avec le soutien financier de la DRAC-SRA Bretagne, du Conseil départemental du Finistère et la commune de Plougastel-Daoulas. Le site est dès lors fouillé chaque été avec une équipe de chercheurs (Université Côte d’Azur – CEPAM, Université de Rennes 1 – CReAAH, Université de Toulouse - TRACES, EVEHA, Université Paris 6, Université de Brest et University College London), étudiants et archéologues amateurs. Je profite de cette interview pour remercier toute cette équipe et notamment les étudiants et bénévoles pour leur investissement et leurs efforts – ces résultats sont en grande partie les leurs…


Nicolas NAUDINOT
Maitre de Conférences/Chaire CNRS
UMR 7264 CNRS - CEPAM
Adjunct Associate Professor, Dpt of Anthropology, University of Wyoming


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Bonjour Monsieur NAUDINOT et merci d’avoir répondu favorablement à cette requête. Avant toute chose, beaucoup de lecteurs souhaiteraient savoir quel fut votre sentiment ainsi que celui de votre équipe lors de la découverte à la fois extraordinaire et exceptionnelle réalisée sur le site du « Rocher de l’Impératrice » ?

C’était très particulier… Avec le temps on perd un peu l’excitation de la découverte archéologique. Même si la plupart de nos résultats sur ce site nous viennent de l’étude du matériel lithique qui reste particulièrement riche en informations paléo-économiques, je dois avouer que la découverte des plaquettes gravées m’a fait quelque chose de particulier – quelque chose qui dépasse l’intérêt scientifique. Le « shining bull » est apparu dans une coupe le dernier jour de la fouille de 2013. Il a donc fallu être efficace et fouiller cette coupe afin d’extraire cet objet avant la fermeture. Je me souviens très bien du moment du relevé. Nous nous sommes tous assis en cercle et nous sommes passé la plaquette en silence. Dans l’émotion, personne n’avait pensé à la retourner. C’est une des fouilleuses qui a eu cette présence d’esprit et qui a donc révélé l’aurochs rayonnant…

A l’époque de sa découverte, à l’automne 1987, y avait-il déjà des éléments permettant d’envisager la richesse et le potentiel archéologique du site ? Ce site était-il déjà connu?

Le matériel récolté dans les années 1980 ne permettait pas d’envisager la découverte de témoignages symboliques sur le site. Il laissait supposer toutefois un riche potentiel puisque ces premiers temps de l’Azilien étaient particulièrement mal connus dans la région lors de mon étude de la série en 2008.

Concernant le fouille archéologique proprement dite, en face quel type de structures sommes-nous? Et associées à ces dernières, quel matériel archéologique a été exhumé ?

Le Rocher de l’Impératrice est un petit abri sous roche d’une dizaine de mètres de long au pied d’une grande barre de grès armoricain qui domine la basse vallée de l’Elorn et la rade de Brest. Nous sommes sur le Massif armoricain et les restes organiques n’ont pas été conservés dans ces sols acides. Nous ne disposons donc « que » du matériel minéral (industrie lithique, art mobilier lithique et charbons de bois).

Tous ces éléments vous ont-ils permis de rattacher le site à une aire chrono-culturelle bien précise ? Des datations ont corroboré cela ?

Comme je vous le disais, dès ma première approche du matériel collecté après les travaux des grimpeurs en 2008 j’ai pu proposer une attribution de cette industrie à l’Azilien ancien, une période assez mal connue qui fait la transition entre les derniers temps du Magdalénien et l’Azilien récent. C’est à la fois la présence d’un débitage laminaire soigné à la pierre tendre, de bipointes à dos courbe et de lames portant une retouche rasante caractéristique qui ont contribué à ce diagnostic. L’étude de la série issue de la fouille a confirmé et largement précisé ce premier diagnostic et a également mis en évidence une discrète composante plus récente (Néolithique final) dans le haut de la stratigraphie. Une première batterie de dates radiocarbones a permis dans le même temps de caler plus précisément l’occupation azilienne aux alentours de 14500 cal. BP. Au passage, il s’agit des premières datations 14C pour le Tardiglaciaire de Bretagne.

Pour ce qui est de la vocation du site, quelles sont vos hypothèses actuelles ? Sommes-nous en face d’un habitat temporaire, d’un site à vocation « cultuelle », « culturelle » ?

Tout cela reste très provisoire car la fouille est toujours en cours. Nous avons toutefois tendance à voir dans ce site une succession de petites occupations de groupes limités venus pour peu de temps dans l’abri pour des activités orientées (essentiellement préparation à la chasse et traitement du gibier). La position du site devait être particulièrement favorable puisqu’il domine la rade de Brest qui était alors une grande plaine incisée par de grandes vallées (la mer était plus basse de près de 90m). La présence de cet art mobilier pose dès lors la question du statut de ces pièces.

Venons-en à ce qui constitue l’extraordinaire et la rareté de la découverte : les plaquettes de schiste gravées. Combien en avez-vous découvert ? Quelle est la thématique abordée par ces dernières ?

Aujourd’hui, c’est une cinquantaine d’éléments qui ont pu être découverts. Il s’agit pour la très grande majorité de petits fragments de plaquettes brisées sur lesquels un court segment de gravure a pu être identifié. Pour celles sur lesquelles les figures sont identifiables, nos travaux menés avec Camille Bourdier de l’Université de Toulouse montrent la cohabitation de quelques registres géométriques (zig-zag, triangle, spirale…) et de figurations naturalistes sous la forme d’aurochs et de chevaux.

Peu de médias s’en font écho et pourtant cette question me semble essentielle : les plaquettes de schiste étaient-elles groupées ? Etaient-elles associées à un matériel type, à une structure particulière ? Bref, y a-t-il du « délibéré » derrière ? Quant au matériau utilisé, était-il d’origine locale ?

C’est une très bonne question. Malheureusement, il est difficile d’y répondre. Beaucoup de plaquettes ont malheureusement été découvertes dans un secteur ayant subi des creusements. Il me semble toutefois que ces pièces étaient plutôt groupées dans le fond de l’abri. En ce qui concerne le matériau, il faudra mener des analyses complémentaires pour trancher. Il semblerait toutefois qu’il s’agisse d’un schiste affleurant au-dessus du site.

Sur le plan artistique/stylistique, qu’est-ce qui est, selon vous, « bluffant » dans cette découverte ? Des rapprochements avec d’autres sites ont-ils été effectués ?

Il y a plusieurs choses. Au niveau régional, il y a tout simplement le fait qu’il s’agit des plus anciennes traces d’art. Ensuite l’aurochs rayonnant est particulièrement « bluffant » comme vous dites. Cette association entre figuration animale et rayons est unique dans la Préhistoire selon ma collègue Camille Bourdier, préhistorienne de l’art. En ce qui me concerne, ce qui m’intéresse tout particulièrement dans ces découvertes c’est qu’elles nous permettent de se faire une meilleure idée de l’art de ces premiers groupes aziliens qui restent particulièrement mal connus. Dans notre article publié le 3 mars dans Plos One, nous avons avec mes collègues proposé l’idée d’une certaine arythmie entre les changements symboliques (clairement ancrés dans le Magdalénien supérieur) et techniques (avec quelques caractères hérités du Magdalénien mais clairement engagé dans l’Azilien).

Même si notre discussion est passionnante, je terminerai par ceci : et après ? C’est-à-dire demain ? En somme, quels sont les objectifs de la prochaine campagne de fouilles ? D’autres sondages seront-ils réalisés afin d’élargir le périmètre de fouille ?

Et bien il reste beaucoup de choses à faire, et j’en suis ravi ! À la fois sur le terrain mais aussi sur le matériel. Les prochaines campagnes viseront à atteindre le substrat du site ainsi qu’à extraire des blocs de grès armoricain de plusieurs dizaines de tonnes qui recouvrent le site. C’est un travail de titan et qui pose des problèmes méthodologiques et logistiques importants – mais c’est aussi cela l’Archéologie, non ?

Avant de vous quitter je tiens à remercier une fois encore le Conseil départemental du Finistère, le SRA Bretagne et les élus de la commune de Plougastel-Daoulas pour leur soutien à ce projet, ainsi que tous les collègues participant à ce projet et les fouilleurs bénévoles qui se sont succédés sur ce site depuis 4 ans. Et pour information, l’équipe est malheureusement déjà complète pour l’été prochain…

Interview réalisée par Pierre-Emmanuel LENFANT - 20 mars 2017




Pointes de projectile "Le Rocher de l’Impératrice" (Dessin F. Blanchet).

Pointes de projectile découvertes sur le site "Le Rocher de l’Impératrice" (Dessin F. Blanchet).



Matériel lithique - Le Rocher de l’Impératrice (Dessin  F. Blanchet).

Tablette 741 avec ornementation bifaciale:
face A) cheval complet;
 face B) une composition spéciale de deux chevaux chevaux complets en symétrie axiale  (photos N. Naudinot, croquis C. Bourdier)

Tablette 741 avec ornementation bifaciale:
face A) cheval complet;
 face B) une composition spéciale de deux chevaux complets en symétrie axiale 
(photos N. Naudinot, croquis C. Bourdier)

Fragment 317 avec une ornementation bifaciale:
face A) tête d'aurochs entourée par des lignes rayonnantes;
face B) tête d'aurochs (photos N. Naudinot, croquis C. Bourdier).

Fragment 317 avec une ornementation bifaciale:
face A) tête d'aurochs entourée  de lignes rayonnantes;

face B) tête d'aurochs (photos N. Naudinot, croquis C. Bourdier). 


Engraved mobile art from the Early Azilian (8–11) and the Upper/Final Magdalenian (1–7)


Engraved mobile art from the Early Azilian (8–11) and the Upper/Final Magdalenian (1–7)


Similarités entre les gravures observées sur le site du "Rocher de l'Impératrice" et celui de Pincevent

Similarités entre les gravures observées sur le mobilier du site du "Rocher de l'Impératrice" et celui de Pincevent

Localisation du site du "Rocher de l'Impératrice" - Plougastel-Daoulas (Finistère)

Localisation du site du "Rocher de l'Impératrice" - Plougastel-Daoulas (Finistère)

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Article de référence : "Divergence in the evolution of Paleolithic symbolic and technological systems: The shining bull and engraved tablets of Rocher de l'Impératrice" et co-écrit par  Nicolas Naudinot, Camille Bourdier, Marine Laforge, Céline Paris, Ludovic Bellot-Gurlet, Sylvie Beyries, Isabelle Thery-Parisot, Michel Le Goffic

The development of the Azilian in Western Europe 14,000 years ago is considered a “revolution” in Upper Paleolithic Archaeology. One of the main elements of this rapid social restructuring is the abandonment of naturalistic figurative art on portable pieces or on cave walls in the Magdalenian in favor of abstract expression on small pebbles. Recent work shows that the transformation of human societies between the Magdalenian and the Azilian was more gradual. The discovery of a new Early Azilian site with decorated stones in France supports this hypothesis. While major changes in stone tool technology between the Magdalenian and Azilian clearly mark important adaptive changes, the discovery of 45 engraved schist tablets from archaeological layers at Le Rocher de l’Impératrice attests to iconographic continuity together with special valorization of aurochs as shown by a “shining” bull depiction. This evidence suggests that some cultural features such as iconography may lag far behind technological changes. We also argue that eventual change in symbolic expression, which includes the later disappearance of figurative art, provides new insight into the probable restructuring of the societies (read more)


L'équipe

Nicolas Naudinot (Enseignant-Chercheur, Université Côte d’Azur, CNRS CEPAM), Michel Le Goffic (ancien conservateur départemental de l’Archéologie au CD29), Marine Laforge (Eveha), Richard Macphail (Senior Research Fellow, University College London), Camille Bourdier (Enseignant-Chercheur, Université de Toulouse II Jean-Jaures, CNRS TRACES), Sylvie Beyries (Chercheur CNRS CEPAM), Ludovic Bellot-Gurlet (Enseignant-Chercheur, Université de Paris 6, MONARIS), Jérémie Jacquier (Université de Rennes 1, CNRS CReAAH), Klet Donnart (Eveha), Isabelle Théry-Parisot (Chercheur CNRS CEPAM), Gwendoline Grégoire (Université de Bretagne occidentale, IUEM, IFREMER), Sabine Sorin (Assistante ingénieur CNRS, CEPAM), François Blanchet (SRA Poitou-Charentes). A ces collègues s’ajoutent de nombreux archéologues non professionnels dont Annette Flageul,  Brigitte Flageul, Patrick Le Flao, Patrick Picard, Véronique Duigou, Lionel Duigou et Pierre Guéguen. Leur travail est vraiment essentiel sur le site, tout comme celui des nombreux fouilleurs bénévoles étant passé par le site.

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